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Heureux à Esneux

Chèvres abattues à Nice. On se fait un petit tennis ?

Le 3 octobre dernier, les habitants de Falicon, commune de 2000 habitants voisine de Nice, ont pu entendre tonner des coups de feu dans l’air. Que les riverains se rassurent, ce n’étaient « que » des chèvres et un bouc sauvages qui furent abattus cet après-midi là, par le fusil d’un lieutenant de louveterie mandaté par la maire, Mme Anaïs Tosel. Le tort des quatre caprins ? Avoir élu domicile en surplomb des terrains de tennis de la ville, et menacer d’y provoquer des chutes de cailloux. Après les ours terrifiants et les grands méchants loups, seraient-ce les diaboliques biquettes sauvages qui vont être ajoutées à la liste des espèces nuisibles ?

Le loup et l'agneau

Là-haut sur la colline, l’activité des chèvres a donc été jugée dangereuse : une première roche était récemment tombée sur les courts de tennis, et le mâle de la bande était décrit comme agressif. Cela a suffi a scellé le sort des quatre ruminants : abattage par décret municipal. Il est vrai qu’une roche sur le coin de la figure, ça peut être très grave, d’autant plus d’un point de vue médiatique s’il s’agit de celle d’un des nombreux enfants qui pratiquent ces installations. Mais il n’empêche, on ressent une gêne face à cet arbitrage radical, et je pense qu’il y avait avec ce dossier de quoi temporiser quelque peu, quitte à ce que les amateurs de la balle jaune se satisfassent d’autres activités pendant quelques semaines. Après tout on ne parle pas de passants qui se seraient faits chargés quotidiennement sur un sentier fréquenté, ni d’animaux qui ne puissent être maîtrisés par des professionnels formés.

Que les ours et les loups, prédateurs carnassiers dont les ombres nourrissent nos imaginaires d’enfant, puissent inspirer à certains une certaine retenue, on peut le comprendre, mais si l’on commence à paniquer face au premier bouc venu au point de l’éliminer, il serait peut-être temps de s’interroger sur notre rapport au monde qui nous entoure. Préfère-t-on vraiment – car c’est le chemin que l’on emprunte – s’isoler dans une société qui asservit la Nature et ne laisse de liberté qu’aux seuls humains ? Notre futur doit-il irrémédiablement glisser vers des villes aseptisées, hyperactives et bétonnées, coupées de leur environnement ?

Chat échaudé craint l’eau froide

Ce qui est bête, c’est que des solutions non létales existaient, que ce soit pour recueillir les chèvres ou sécuriser les équipements sportifs. Alors pourquoi ne pas aller au bout ? Peut-être parce que pour aborder, tranquilliser, et déplacer les chèvres, puis renforcer les protections des terrains de tennis, il aurait fallu payer plus cher que pour un chasseur bénévole et quelques cartouches. Il aurait aussi fallu interdire l’accès aux installations de tennis, utilisées par une large part des locaux, et subir leur grogne. Trop cher, trop long, trop compliqué, a dû se dire l’édile.

Pour les chèvres de la colline, c’est donc la stratégie au bazooka qui a été choisie. Décision unilatérale et précipitée… en somme conforme à ce que sait faire l’humain face à une situation stressante. Un peu comme quand on abat de façon « préventive » tous les canards d‘une zone jugée dangereuse, quand quelques cas de grippe aviaire se déclarent dans un département. L’histoire, et hélas la simple actualité de ces dernières semaines ne fait que nous le rappeler : face à nos problèmes, il est toujours plus facile d’utiliser les animaux comme variable d’ajustement. Mais priver de tennis les administrés d’une commune pendant quelques semaines est-il un vrai problème, quand on prend 15, 30 ou 40 pieds de recul sur notre place sur cette planète ?

Un épisode similaire avait eu lieu à quelques kilomètres de là, fin septembre dernier : un rocher s’était détaché d’une falaise pour s’écraser en pleine ville, frôlant littéralement deux passants miraculés. Aucune victime à déplorer, Dieu merci (je lui mets toujours une majuscule, au cas où), mais une émotion certaine a été soulevée par l’épisode. Et c’est sur les même terrains de tennis de Falicon que des chutes de pierre avaient justifié une intervention l’année dernière. Dans ce contexte, alors que l’environnement accidenté de l’arrière-pays niçois nous rappelle que contrôler la nature est impossible, aucun maire du coin ne veut être celui qui aura à gérer un mort sous un rocher. Entre les impôts locaux, l’inflation, les guerres et la morosité, il y en a déjà assez.

Dynamiques de groupe

C’est bizarre les affaires publiques. On devient maire, ministre, ou député pour le bien commun (je veux encore y croire), puis on se retrouve aux fonctions, contraints par des mécaniques politiciennes qui empêchent de travailler sainement. L’obsession de la croissance, l’appât du gain ou encore les ambitions personnelles conduisent nos dirigeants à manœuvrer de façon stratégique, et faire des choix court terme qui manquent de justesse. Mais c’est aussi, et c’est ce qui semble avoir été le cas ici, les sujets de la popularité, de la critique et de la réputation qui inquiètent les politiques, comme tous les autres membres de notre espèce (car oui, ils font quand même partie de notre espèce).

Ce thème passionnant des interactions de groupe me rappelle de célèbres expériences de psychologie sociale menées aux Etats-Unis dans les années 1950-1970, explorant le besoin de se conformer, l’influence des pairs ou encore la soumission à l’autorité. Les expériences de Asch (1951), de Milgram (1963) ou encore celle dite de Stanford (1970) participèrent à révéler les fascinantes dynamiques qui sont à l’œuvre dans les sociétés d’Homo Sapiens, et que l’œil averti peut observer chaque jour à l’envie, de la simple interaction dans un groupe d’enfants aux glaçantes actualités qui font la une des journaux. Pour toute une série de raisons évolutives, notre espèce souffre de l’isolement, chaque individu a besoin de relations sociales positives, et de sentir qu’il appartient à un groupe, ce qui a d’innombrables conséquences sur nos capacités de discernement, nos comportements, et nos systèmes de valeurs à un instant t.

Dans le présent dossier, la maire de Falconi, esseulée face au dossier, a certainement été l’objet d’une forte pression sociale : ses administrés avaient dû se plaindre, le conseil municipal avait dû monter au créneau, et la Préfecture préconisait l’abattage. Ça faisait beaucoup à porter.

Un jour sans fin

Sans jeu de mot, je ne jetterais pas la pierre à l’édile de Falicon, et ce papier n’est pas une attaque envers elle. Il n’en demeure pas moins qu’une fois de plus, las, je fais la même observation : c’est le monde animal qui paye la facture, pour l’agrément des humains. Une fois encore, j’ai comme l’impression de conclure avec la même indignation face à l’absurdité des comportements humains, et l’effrayante étendue de nos angles morts. Est-ce moi qui suis obnubilé par ce thème, ou est-ce l’anthropocentrisme d’Homo Sapiens, espèce arrogante et biaisée, victime de sa propre dotation corticale, qui est vraiment la source de tous les maux de cette planète ?

Quoi qu’il en soit, espérons que dans les mois à venir un promeneur aventureux ne provoque pas une chute de pierres et des blessures en randonnant au-dessus des courts de tennis de Falicon. Car pour le coup, on se retrouverait un peu bêtes : un équipement de protection installé aujourd’hui aurait pu prévenir l’accident, et surtout, dans ce monde, on n’a pas le droit de tuer les humains qui provoquent un éboulement.

Erwan Spengler
article de AVA - Agir pour la Vie Animale 

 

 

 

 

En savoir plus sur l’auteur : vétérinaire de formation, j’ai pratiqué quelques années en clinique auprès des animaux de compagnie. Je me suis ensuite tourné vers l’entrepreneuriat, avec toujours à cœur de sortir des usages convenus. C’est ainsi que j’ai monté deux entreprises agroalimentaires en lien avec le manger sain et le bien-être animal. Amoureux de la Nature, attaché à la cohérence de nos modes de vie, je suis depuis plusieurs années l’aventure AVA, porte-parole libre des animaux de notre société.

 

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